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Hakkei-tei,Hikone


Introduction

Le jardin traditionnel de Genkyu-en, sur le flanc Nord-Est du Château de Hikone, était un lieu de prédilection pour le seigneur du château qui y recevait ses invités. Il fut créé en 1677, sur le plan des jardins de la résidence de plaisance de l’Empereur Hsuan Tsung (685–762) de la Dynastie chinoise des Tang. Le Lac Biwa, le plus vaste plan d’eau du Japon, est situé pratiquement au centre du pays. Sur ses berges orientales a grandi la ville de Hikone. Sur la berge opposée s’élève une chaîne montagneuse, et au-delà s’étend la ville de Kyoto. L’emplacement unique de Hikone en a fait un centre important pour les transports lacustres, et depuis le XVIIe siècle, une garnison militaire en même temps qu’un centre politique de poids. Site le plus important de cette ville, le Château de Hikone est aujourd’hui connu dans tout le Japon. Sa construction commencée en 1603 se poursuivit pendant vingt ans. Le donjon s’enlevant sur le sommet de la colline a toujours été regardé comme le symbole de la cité. Les bâtiments n’étant jamais très hauts dans la période de Edo, lorsque ce château s’éleva sur la colline, les humbles sujets qui apercevaient en permanence ce donjon altier ont dû trouver que c’était là un spectacle fort impressionnant. Bien sûr, en ces temps féodaux, seule une élite était admise à franchir le seuil du château, mais aujourd’hui les portes sont naturellement ouvertes à tous. Une fois franchie la porte monumentale qui constitue l’entrée principale du château, vous aborderez une longue volée d’escaliers de pierre. Vous ne manquerez pas d’éprouver combien est pénible son gravissement, car chaque marche est irrégulière de hauteur comme de profondeur. J’ai d’ailleurs pu observer maints touristes ahanants et soufflants, jeunes pourtant, s’arrêter fréquemment pour reprendre du souffle, tandis que le guide leur expliquait que “...c’est intentionnellement que ces marches avaient été faites aussi incommodes, pour casser les jambes et rendre l’accès plus difficile. À supposer, voyez-vous, que les soldats ennemis arrivent jusqu’ici, ils ne pourront pas s’élancer d’une traite jusqu’en haut, ce qui laissera le temps de les tirer comme des lapins.” À mesure que l’on peine sur ces marches inamicales, l’on se rend compte combien l’impératif qui avait présidé à la construction de ce château était sa défense. Après avoir dû reprendre mon souffle moi-même, je parvins tout de même au donjon. C’était superbe! Des toitures aux tuiles noires, des murailles blanches, des ornementations rehaussées d’or... Ce donjon fascine tout le monde tant il dégage de beauté et de puissance. Et la vue de la ville s’étendant au pied est elle aussi impressionnante, avec cet océan de toits se pressant autour de leur château. Au Japon, une ville forte, c’est-à-dire grandie à l’ombre d’un Château, est appelée “joka-machi” (ville-sous-château). En fait, là où château pousse, pousse obligatoirement une joka-machi. Hikone n’a évidemment pas échappé à la règle. Mais allons plutôt examiner comment cette ville fut agencée. Le donjon (tenshukaku) est évidemment le cœr du château, que trois fossés profonds encerclent pour tenir l’assaillant en respect. Dans l’espace compris entre le fossé intérieur et le fossé central vivaient le seigneur féodal et sa famille, son grand majordome ainsi que ses hommes liges les plus importants. Centre du gouvernement local, ce quartier regroupait les demeures somptueuses, pour le lieu et l’époque, appartenant aux familles qui avaient du poids dans la province. Les samouraïs de haute volée vivaient dans l’espace compris entre les fossés central et extérieur. Franchi le fossé extérieur, l’on arrivait aux modestes demeures de la piétaille, des pousse-cailloux, appelés ashigaru (littéralement : les “pieds-légers”, et pour cause, ils n’avaient pratiquement pas d’équipement). Ces cercles de défense concentriques protégeaient le château et la ville d’une attaque de l’ennemi. Les roturiers, le peuple, vivaient et travaillaient également dans cette zone comprise entre les fossés central et extérieur, mais aussi au-delà du fossé extérieur. L’ensemble ainsi constitué de la ville autour de son château offrait donc un exemple précoce d’architecture et d’urbanisme, puisqu’il se muait en une véritable forteresse s’il fallait livrer bataille à un assaillant. L’insistance mise sur les impératifs de défense est manifeste lorsqu’on flâne dans la section ancienne de Hikone pour examiner tout à loisir le tracé des rues. À première vue, le canevas paraît assez régulier, mais en fait il n’en est rien, car aussitôt qu’on décide de gagner un point précis, l’on remarque que les ruelles zigzaguent, se décalent sournoisement aux croisements, et meurent en culs de sac, ce qui rend la progression problématique au non initié. Surtout s’il est pressé, ce qu’était toujours l’assaillant. Pour réduire encore ses chances de succès, les venelles sont des coupe-gorge dont l’étroitesse gêne toujours le repérage. Si des assaillants de jadis avaient d’aventure réussi une percée jusqu’au cœr de la ville, il y a fort à parier qu’ils eussent couru en tous sens comme des dératés, sous une pluie de traits, en complète débandade. Le labyrinthe de ruelles égare dans un premier temps le promeneur disposant de tout son temps, à moins qu’il ne connaisse la ville qui devient alors sa ville. Les villes fortes sont fascinantes à plus d’un égard. Ainsi, au Moyen-âge, les artisans se regroupaient par métier. Ce qui explique que dans tout le Japon ces villes fortes auront tendance, à l’instar des villes européennes d’ailleurs, à avoir des quartiers aux appellations semblables, telles que daiku-machi (quartier des charpentiers), shokunin-machi (quartier des artisans), et kajiya-machi (quartier des ferronniers). Hikone a aussi des appellations anciennes pour ses divers quartiers, puisqu’on y trouve encore un aburaya-machi, où se regroupaient les marchands d’huile (autant pour les lampes que pour la cuisine) et un konya-machi, où travaillaient les “ongles-bleus”, les teinturiers.

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